Cet article me tient particulièrement à coeur. Je l’ai en tête depuis pas mal de temps déjà, me disant que le moment où je devrai l’écrire s’imposerait à moi et que je n’aurai qu’à laisser mes doigts courir sur le clavier. Ce moment est arrivé je crois. Je suis au beau milieu du désert, en Californie dans le Airbnb d’Hopper et Rohini, couple de connaissances. Autour de moi, le silence remplit tout l’espace. « Le silence me nourrit » disait mon père. C’est de lui dont je vais vous parler dans cet article. De son cancer aussi. Et de la bénédiction que cette maladie a été dans notre famille, même si elle nous l’a enlevé trop tôt. 

Mon papa était un artiste. Graphiste, il menait sa propre entreprise et a toute sa vie été indépendant. Sauvage, il a eu une enfance que la plupart des psys définiraient en raccourci comme traumatisante.
En tant que père, il n’était pas celui dont on pouvait rêver. Il ne s’occupait que très peu de nous. Je n’ai pas souvenir de lui qui m’ait aidé une seule fois à faire mes devoirs ou qui jouait avec moi. Les mots doux ne faisaient pas parti de son vocabulaire courant, et il n’était pas des plus présents. Pas des plus attentionnés non plus. Des « Je t’aime », je n’en n’ai eu qu’à la fin de sa vie, alors que j’étais moi-même adulte. Il était une sorte de maître de la famille qu’il fallait respecter et devant lequel il fallait souvent se taire ou s’effacer. Les repas du soir, par exemple, il était difficile de raconter sa journée d’école. Il fallait se taire pour ne pas le déranger. Trouvant tout ceci totalement injuste, du haut de mes 6 ou 7 ans, je me révoltais, disant que je n’étais pas d’accord, et créant souvent des engueulades et des tensions fortes au sein du clan familial. Mais pour moi, il n’était pas question de me soumettre à quelconque dictateur, même si celui-ci avait la dénomination de « papa ».
En bref, j’ai passé une enfance et une adolescence sans complicité avec notre père. Une relation père-fille… nulle.

Et puis nous avons grandi. Nous sommes devenus adultes, avons quitté la maison, avons démarré nos vies de grands. Mes parents ont divorcés après plus de 40 ans de mariage. De la maison mitoyenne qu’ils avaient fait construire, mon père a gardé la grande partie et ma mère a emménagé dans la petite maison, créant un cocon douillet pour elle et ses animaux. Bien que nos relations avec papa s’étaient légèrement améliorées, la communication restait compliquée.

Et puis, en 2012, il y a eu ce voyage en Inde, entre papa et sa compagne du moment. Un tout premier voyage lointain, qui l’a transcendé. Papa a toujours été spirituel, croyant à l’âme, à l’évolution de celle-ci, aux énergies, mais ces 2 semaines de cure ayurvédique effectuées là-bas, ont ouvert son cœur…. et ont commencé à changer les choses.
Dès lors, nous réussissions à communiquer « mieux », à parler plus, à échanger des idées. Un début de relation père-fille semblait prendre forme.

Juillet 2013, nous fêtons l’anniversaire de ma maman et partons en famille faire une randonnée en montagne. Ça grimpe et papa a de la peine à respirer. Il doit s’arrêter plusieurs fois pour reprendre son souffle. Ça ne lui ressemble pas. On lui demande de faire un contrôle chez le médecin rapidement.
Septembre 2013, le médecin lui fait passer un scanner. Début octobre, le verdict tombe. Papa a une métastase, une tumeur, au poumon.

L’annonce est un poignard. Je raccroche le téléphone alors que mon mari est entrain de rentrer du travail. Il ouvre la porte, je m’effondre dans ses bras. Les jours passent, une chimio est mise en place et papa semble garder le moral. Il nous parle d’ « expérience de vie » et prend les choses telles qu’elles viennent. Les chimios se suivent, améliorant son état. Pour notre mariage en juillet 2014, il est même en phase de rémission! Plus de tumeur, on a l’espoir qu’il soit tiré d’affaire! On ne savait pas encore à ce moment là que le cancer du poumon est un cancer qu’on ne guérit apparemment pas… Non, il est agile. Se calme une première fois… puis se déplace… migre et réattaque.
Ignorant cela, on avait de l’espoir. Et puis papa avait un moral d’acier. Il voulait vivre! Avait de nouveaux objectifs. Dont l’écriture d’un livre. Et l’ouverture d’un centre de soin pour les moines bouddhistes.
En parallèle à ces projets dans le futur, il apprenait de manière consciente à expérimenter le moment présent. Ce fameux moment présent dont on parle tous. Celui qu’on cherche à attraper pleinement mais qui s’échappe au même instant. Celui qui fait objet de tant de prétentions, de tant de vantardises: « Mais oui, moi je suis dans le moment présent. Bien sûre que j’ai appris à le vivre« , et puis il y a ces centaines de livres sur le sujet. Le moment présent est devenu un phénomène de mode dont il fait bon dire qu’on le sait et qu’on en est devenu maître.
Foutaise.
La seule personne que j’ai vu dans ma vie savoir vivre réellement le moment présent, (et pourtant je suis entourée de gens spirituellement élevés et avancés dans leur développement personnel) c’était mon père. Peu importe ce qu’il vivait. Ces deux dernières années de vie, il était le moment présent. Il était reconnaissance. Les jours de chimio et les jours plus difficiles, le simple fait de sentir ses poumons se gonfler d’air le remplissait de joie.
Papa avait atteint un état que l’on pourrait appeler d' »illumination ». Sans folie aucune. Il expérimentait « simplement » la pleine conscience de la vie qui se trouvait en lui.

Début 2015, les médecins tombent sur deux métastases dans sa colonne vertébrale. Elle sont allées se nicher dans sa moelle épinière. Ceci explique la faiblesse qu’il ressent depuis quelques temps à sa jambe gauche. Les douleurs à la hanche aussi?
Mais papa ne perd pas le moral. Chaque instant qu’il vit continue de le rendre heureux. Chaque jour de chimio, il fait rire les infirmières, sourit, rit, sans jamais se forcer. Il est un cancre, comme il aime se décrire, le même cancre que lorsqu’il était un enfant et qu’il faisait des gentilles bêtises au fond de sa classe.
Durant toute cette période de cancer, papa, fin gourmet amoureux depuis toujours de truffes, beurre, crème et fois gras, (et non, pas un gramme de cholestérol!) apprend à composer avec l’ensemble des aliments et leur pouvoir guérisseur. Il cuisine mieux et plus que jamais. Nous invite à déguster des vrais plats de chefs dans sa maison! Vénère les épices ramenées d’Inde et les distille avec intelligence et gourmandise dans ses plats.
En parallèle aux traitements de médecine classique, papa choisi de bénéficier d’un traitement de médecine parallèle, censé aider son corps, notamment après les chimios, qui sont comme chacun sait, d’une grande violence pour l’organisme.
Durant toute cette période, papa allie donc la médecine classique à la médecine parallèle, aux plantes, à l’alimentation et à la psychologie personnelle et interne pour soigner son corps du mieux qu’il peut.

Et du chemin, il en fait. C’est impressionnant. Il devient un maître à penser. Recevant des phrases, des idées en pleine nuit ou au petit matin, qu’il s’empresse d’écrire dans son téléphone. « Un jour, j’écrirai un livre », nous disait-il. Hélas, il n’aura pas eu le temps de mener ce projet à terme.
Les mois passent, la jambe gauche de papa est de plus en plus faible. Il « traîne la patte » comme il dit. Notre dernière balade, et j’y tenais, sera effectuée à son rythme et en lui servant de béquille, à la Tine de Conflens, repère énergétiquement et spirituellement très intéressant non loin de La Sarraz, en Suisse. Une belle promenade qui lui a plu, énormément, et un très beau souvenir pour moi aujourd’hui.
Mars 2015. J’accompagne papa à Barcelone où il doit rencontrer un excellent chirurgien dentiste censé lui retirer des plombages posés il y a des années et qui seraient susceptibles de booster ces satanées cellules cancéreuses. En gros, une saloperie à retirer le plus vite possible de sa bouche.
Je prends ce voyage, en plus du bénéfice apporté à papa, comme une incroyable possibilité de vivre -enfin- quelque chose en tête à tête avec mon père. Souvenir fort. Je suis aujourd’hui très reconnaissante d’avoir pu vivre ça. Cela m’a permis d’avoir un souvenir, au moins un, de quelque chose de chouette qu’on aura pu faire ensemble. Car hors rendez-vous médical, nous avons pris le temps de visiter la ville, manger dans de bons restaurants et partager quelques mémorables fous rires.

Papa a débuté l’année 2015 debout, avec une patte traînante, certes, mais debout. Hélas, il l’a terminée dans un fauteuil roulant.
Les mois qui ont suivi Barcelone, mon père a continué à perdre de la force dans sa jambe, au point de ne plus pouvoir se tenir debout. Les médecins pointaient du doigt les deux métastases de sa colonne vertébrale. Elles seraient responsables de ce début de handicap. Et puis il y a eu le diagnostic d’une autre excroissance cancéreuse, dans son cerveau. J’ai tout tenté à ce moment là. Je voulais que quelqu’un puisse l’opérer. Lui retirer ce truc. J’ai fait des recherches, ai cherché les médecins les plus qualifiés, me suis renseignée sur l’avancée de la médecine à ce moment là, tout en continuant en parallèle à chercher qui, parmi les plus grands guérisseurs de cette terre, pourrait sauver mon père.
Mes recherches m’ont guidés vers le Brésil où réside l’un des plus importants guérisseurs de la Planète. Mais il était trop tard pour envisager un déplacement. Papa, en chaise roulante, pas au top de sa forme, ne souhaitait pas se déplacer si loin. J’ai alors écrit à une association qui amène les photos des malades ou demandeurs de guérison à ce guérisseur, mais n’ai jamais eu de réponse et n’ai jamais su si la photo avait été portée à bon port.
Le CHUV de Lausanne m’a apporté un peu d’espoir quand j’ai vu qu’il existait une technique au laser, nommée Gamma Knife, qui pouvait précisément opérer les tumeurs nichées dans des zones dangereuses ou inatteignables en chirurgie traditionnelle du cerveau. J’ai alors fait la demande pour papa. Ai mis les chirurgiens de Lausanne et ceux de l’hôpital de Fribourg, où papa était suivi, en relation. Et ce, afin de voir si il pouvait être un bon candidat pour une telle opération.
Hélas, la réponse a été négative. Sa tumeur étant trop grande pour pouvoir être soignée par ce fameux Gamma Knife.
Alors on a laissé passer la suite de l’année. Papa n’avait plus le choix. Il avait désormais besoin d’une chaise roulante. Il a fallu déplacer des meubles, faire venir des spécialistes pour réhausser le lit, les toilettes, et adapter sa maison à une configuration d’handicapé. D’humain à mobilité réduite.
Sa main, gauche ou droite, je ne sais plus, à commencé, elle aussi, à poser problème. Elle se refermait petit à petit sur elle-même et empêchait papa de soulever quoi que ce soit. Il n’avait désormais plus qu’une main qui fonctionnait.
Sa mémoire commençait également à faire défaut. Il fallait lui répéter les choses plusieurs fois.
Mais vous savez quoi?
Il n’a jamais arrêté de se marrer.
Il se marrait pour tout! Mais n’était pas fou. Etait juste heureux de respirer, heureux d’expérimenter la vie. Dans n’importe quelle situation et même si celle-ci le diminuait. Et je vous jure que c’est la vérité.
3 mois avant sa mort, papa écrivait dans son téléphone, je cite:
« Je suis très honoré d’avoir été choisi pour franchir ces épreuves » .
Allez écrire ça et le penser réellement quand vous êtes diminué de vos 2 pattes et d’une main.
Papa avait lâché prise depuis longtemps sur sa condition. Pour lui il était « une parcelle de vie dans l’immensité de la vie » . Loin d’être une victime, il acceptait complètement ce qui lui arrivait. Mais l’acceptation et le lâcher prise ne sont pas pour autant une résignation. Il voulait vivre. Voulait vraiment guérir. Jusqu’à la fin il avait espoir de s’en sortir. Il n’a jamais baissé les bras.

Avril 2016. Mon mari et moi avons prévu de partir en voyage aux Etats-Unis pour réaliser un de nos rêves, un road trip nous menant dans les différents grands parcs nationaux de l’ouest américain. Ce voyage est prévu depuis 9 mois.
Durant ces 9 mois de préparation, j’ai le pressentiment que papa partirait à ce moment là.
J’ai bien tenté de ne pas prendre ce feeling en considération, il était là et bien là. J’ai alors décidé, une ou deux semaines avant mon départ, d’en parler à mes frères. Que devais-je faire si il arrivait quelque chose? Rentrer en catastrophe? Avec les heures de vols, arriverais-je à temps? Etait-ce raisonnable? Tant de questions qui me tourmentaient. Mes frères ont été unanimes: « parles-en discrètement avec papa et regarde ce que lui aimerait que tu fasses… au cas où. »
Depuis quelques semaines, je venais 1 ou 2 fois par semaine m’occuper de faire les courses et préparer des petits plats maison pour papa afin qu’il n’ait plus qu’à les réchauffer dans son micro-onde pour pouvoir correctement s’alimenter. J’ai profité de cette dernière visite à but culinaire chez lui pour pouvoir discrètement lui en parler.
« Papa, SI JAMAIS il devait t’arriver un truc pendant que je ne suis pas là. AU CAS OU hein! Il ne t’arrivera rien, mais vraiment AU CAS OU! Qu’est ce que tu souhaiterais que je fasse? »
-« Céline, tu ne rentres pas de ce voyage. Tu le vis jusqu’à la fin et tu feras une prière pour moi depuis le Grand Canyon, ou je ne sais où. Mon âme sera loin! Il n’y aura plus de distance. ça ne sert à rien que tu reviennes ». Il a même rigolé. Encore.

Quelques jours plus tard, dimanche 10 avril, et alors que je partais le mardi qui suivait, je décidais de passer chez papa avec mon mari, pour l’embrasser et lui dire bonne nuit, le serrer dans mes bras, tout en retenant mes larmes et toute trace d’émotion afin de ne pas lui donner le moindre signe de mon pressentiment, et puis j’ai pris quelques photos de lui, hilare, qui essayait une superbe montre qu’une grande marque de joaillerie m’avait prêté pour réaliser quelques photos à Coachella. Ma dernière photo de papa est incroyable. Lui, couché dans son lit, la montre en question au poignet, qui éclate de rire, les yeux plissés et la bouche grande ouverte.
Cette dernière image est un cadeau inestimable.

Nous sommes alors parti. J’ai pleuré dans la voiture. Je savais que je lui disais au revoir même si rien ne nous laissait penser qu’il allait mourir dans les jours qui venaient. Rien! Même si il était à présent handicapé, il vivait toujours chez lui. Pouvait encore s’assumer! Son scanner réalisé durant la même semaine était d’ailleurs bon! Les tumeurs n’avaient pas grossi! On ne pouvait réellement pas se soucier que ça irait si vite.

15 avril 2016, soit 3 jours après notre arrivée à Los Angeles, mon frère m’appelle pour m’annoncer que papa a été admis aux soins palliatifs d’un joli centre spécialisé pour la fin de vie.
Je parle à papa au téléphone. Il rigole, encore, me parle du jardin en face de sa chambre. « C’est chouette, il y a un grand jardin dans lequel on peut me faire sortir! Les infirmières sont très gentilles! Mais si tu savais! Ces cons alors! Les ambulanciers m’ont fait tomber de la civière ce matin quand ils m’ont sorti de chez moi!! Quels cons alors! » me lancent-ils dans un éclat de rire.
On raccroche. Et on se rappelle tous les 2 ou 3 jours tandis que presque chaque jour, je lui envoi des images des parcs, du désert, de la nature, extraordinaire du grand ouest.
Au téléphone, alors que je me trouve à l’entrée du splendide Antelope Canyon, papa me parle de son rêve. « Tu sais, c’est bizarre… Je rêve tout le temps de ce quai de gare. Il y a ce train, c’est le mien, mais je n’arrive pas à monter dedans! Je ne sais pas pourquoi, j’arrive pas à le prendre! Tu y comprends quelque chose toi? » 2 jours plus tard, ce 25 avril 2016, papa a, semble-t-il enfin réussi à prendre son train.

« Tu vois ce rocher? C’est la porte qui mène à l’autre monde »

Je vais vous raconter cette dernière journée. Comment je l’ai vécu. Comment il l’a vécu. Puis la mort. En toute honnêteté.
C’était une journée magnifique qui commençait. Et magnifique est un mot faible. L’un des plus beaux jours de ma vie. Réellement. Nous sommes alors le 24 avril. Olivier, mon mari, et moi sommes à Monument Valley et avons réservé une randonnée à cheval pour une bonne demie journée. Deux guides Navajos, très peu touristiques, nous emmènent randonner durant 5 heures sous le soleil de ce désert rouge. Cette promenade restera l’un de plus forts souvenirs de ma vie. Un véritable partage, une confiance, se créée naturellement entre les deux Navajos et nous. Mike, l’un des guides, connaît ce parc autant que lui-même. Il est né ici. Il vit ici et mourra sans doute ici. Voyant une grande ouverture et curiosité chez nous, il nous raconte les rochers, les Dieux, sa spiritualité, son désert. Et alors que nous passons devant des énièmes rochers rouges, Mike me dit « Tu vois celui-là? C’est la porte qui mène à l’autre monde. » Ma gorge se serre, une larme coule, et je me rappelle lui avoir dit « Mon père est entrain de mourir. » Je n’en savais rien à ce moment là.

La balade continue, se rallonge spontanément d’une heure et quart tant nous partageons un beau moment à 4 sur nos montures. Je sens l’énergie absolument incroyable de ce lieu et comprend pourquoi Monument Valley représente une terre absolument sacrée pour les Navajos.
Elle EST sacrée.
Je me charge de son énergie protectrice. Me ressource pleinement. Quand vient le moment de descendre de mon cheval, je remercie Mike et son collègue, me sens remplie de cette énergie de vie, prête à affronter n’importe quelle difficulté. Olivier et moi ressentons alors une immense reconnaissance pour notre terre mère, dans cet endroit précis de Monument Valley.

Nous reprenons la route et arrivons à Moab, après 2h30 de conduite en début de soirée. Il est 20h30 ici aux USA, soit 5h30 du matin en Suisse. Mon téléphone sonne.
Mon coeur s’arrête quand je vois le nom de « Dominique » sur mon écran. Mon frère.
« ça pue« . C’est tout ce que je dis à mon mari. Le seul truc qui me vient.
Je décroche et Dominique me parle doucement. Calmement. « Papa a passé une très mauvaise nuit. Les infirmières m’ont appelé. D’après elles, il serait entrain de partir… » Derrière ces paroles, j’entends une respiration rêche, forte. Comme un râle. Il me dit que c’est papa qui respire comme ça. Qu’il a reçu ce qu’il faut comme médicament pour ne pas souffrir. Qu’il n’est pas dans le coma, mais qu’il serait entrain gentiment d’y « tomber ». Il me demande si je veux lui parler. M’explique qu’il peut mettre le téléphone à l’oreille de papa et qu’il m’entendra sûrement.
Je lui dit que oui.
A ce moment là, tu enlèves toute pudeur. C’est pas le moment d’être gêné de dire quoi que ce soit. J’ai tout dit à papa. Je lui ai dit, sans pleurer, avec une voix la plus douce et apaisante tranquille, à quel point je l’aime. Je lui ai dit qu’il fallait qu’il accepte de lâcher maintenant et qu’il prenne son train. Je l’ai remercié d’avoir été mon père. Je lui ai dit qu’on avait passé une journée extraordinaire, bercés par notre terre mère. Je lui ai décrit la porte sur l’autre monde que Mike, le Navajo, nous avait montré et je l’ai invité à la traverser. Je lui ai dit qu’il ne fallait pas qu’il ait peur de lâcher et que ce qui l’attendait était magnifique. Qu’il serait libéré de son corps qui ne fonctionne de toute façon plus très bien et qu’il allait vivre le plus beau voyage qui soit. Je lui ai dit que mon âme était avec la sienne, que j’étais là. Même à l’autre bout du monde. Je lui ai confié encore et encore à quel point je l’aime. Et je lui ai demandé de lâcher prise.
Pendant tout mon dialogue, j’entendais sa respiration, si forte. C’était terrifiant. Glaçant. Ça m’a impressionnée.
Et pendant que je lui répétais mes mots d’amour et que je lui parlais, d’après mon frère, il a eu plusieurs réactions physiques. Ses mains, sa bouche… Comme si il voulait parler, répondre, mais ne pouvait pas. Mon frère m’assure qu’il entendait ce que je lui disais.
On a raccroché, se promettant qu’à la moindre évolution, il me rappellerai.
Je suis sorti de mon hôtel. Ai demandé au réceptionniste de m’indiquer une église, un parc, ou n’importe quel endroit apportant sérénité, où je pourrai me retrouver tranquille, avec mon mari, pour « prier », communiquer avec là-haut, avec l’ange gardien de papa, avec son âme, avec le tout. Peu importe. Je voulais me recueillir et faire tout ce que je pouvais sur un plan spirituel pour accompagner papa dans son grand voyage.
Je tremblais. Pleurais. Ai même senti à un instant précis l’énergie de mon père aller et venir près de moi. Ce qui m’a fait peur. J’étais démunie.
Mon frère m’a rappelée plus tard dans la soirée, vers 23h heure locale, je crois. J’ai encore pu reparler à papa et lui redire tous mes mots, alors qu’il tombait petit à petit dans un coma évident.

« Son coeur ralentit! C’est maintenant, il va partir! »

S’en est suivi des heures d’une situation latente. Papa a perdu conscience totalement et le coma a été « déclaré ». Mes frères et ma belle-soeur l’ont veillé toute la journée. Entière. Lui tenant la main, le bras. Au bout de plusieurs heures, la situation étant stationnaire, ils ont décidés d’aller manger quelque chose à la cafétéria. Quelques minutes plus tard, l’infirmière les rappelle en urgence. « Son coeur ralentit! C’est maintenant, il va partir! » Mes frères remontent, retrouvent mon père, dont le coeur et la respiration reprend soudainement.
A ce moment là, ils comprennent. Leur présence le stimule. Tant qu’ils seront trop proches de lui, il ne partira pas.
Ils décident alors, -quelle réaction admirable!-, de se placer chacun à un coin de la pièce. Entrent dans un état méditatif et de centrage sur soi. Peu de temps plus tard, le moniteur indiquant le coeur ralentit… Papa respire de moins en moins vite. Son coeur ralentit encore… jusqu’à ne plus battre. Papa s’envole enfin… en paix.

Mon téléphone sonne. Il est 13h25 chez moi. Je suis à CanyonLands. Dans un parc naturel superbe. Il pleut depuis ce matin et le ciel est maussade. Après plus de 2 semaines de chaleur et de soleil… Comme si la météo avait choisi d’accompagner notre tristesse précisément ce jour-là. Dominique m’annonce que papa est libéré. Qu’il est parti en douceur. Il m’explique les derniers instants. Ils ont été forts lui et Daniel, mon autre frère. Je suis si reconnaissante de l’accompagnement qu’ils ont su apporter à notre père.
Forts les jours d’après aussi. Quand il a fallu organiser les obsèques. A distance, je me suis occupée de trouver les musiciens qui allaient accompagner le dernier hommage pour notre père. Il était amoureux de musique, de jazz et de blues. Il voulait une cérémonie joyeuse et vivante. Et surtout, il voulait qu’on « bouffe bien » après. En fin gastronome, ça c’était important pour lui. C’est ce qu’on a fait. Et on a l’a bien fait.
En mourant le 25 avril et non le 24, papa nous a fait un dernier cadeau à Olivier et moi. Il nous a permis de terminer notre voyage. Le 25 étant un lundi, nous avons pu pousser ses obsèques au maximum légal, soit 1 semaine après le décès.
Si il était mort le 24, nous aurions été obligés de faire la cérémonie le vendredi 29, le week end les crémations n’ayant pas lieu. Nos billets d’avions étaient bookés au samedi 30 avril avec un retour au dimanche 1er mai. Le lundi 2 mai, les obsèques avaient lieux. Nous avons donc pu terminer notre voyage. Boucler la boucle. Sans devoir nous ajouter des soucis et changer nos vols, annuler nos hôtels, etc,…
Ce qui a été un poids en moins dans un tel moment.

Le lundi, j’ai choisi d’aller voir le corps de papa dans la crypte de l’église de Fribourg. J’en avais besoin, n’ayant pas été là pour les derniers instants de vie de papa, pour conscientiser et concrétiser sa mort. Je crois que c’était important pour mon deuil à venir.
Les obsèques ont été superbes. Magnifiques. Totalement à la hauteur de l’homme que mon papa avait finalement révélé être.

Aujourd’hui, quand on me demande, choqué souvent, si je ne regrette pas de ne pas avoir été là pour dire au revoir physiquement à papa, je réponds que non. Ceci a été une bénédiction de la vie. J’ai toujours dit que je n’avais pas les épaules pour voir papa partir. Et je crois que papa, émotionnellement, en a profité pour se faire la malle précisément quand je n’étais pas là. Ceci est un cadeau de sa mort, un cadeau de ma vie. De toute mes tripes et de toute mon âme, j’ai été là. Mais la distance et la nature dans laquelle je me trouvais m’a protégée. Epargnée.

Pour clore cet article, je reviendrai sur le titre de celui-ci. « Le cancer a été une bénédiction pour notre famille ». Oui. Le cancer de papa lui a ouvert la voie de l’illumination. Lui a ouvert la voie d’une totale conscience. Papa a su voir et entendre les leçons ultimes que cette maladie radicale enseigne sur la vie.
Ce cancer, je ne le blâmerai jamais. Il nous a offert une véritable relation, enfin, avec notre père. Je dis souvent même qu’il a sauvé notre relation père-fille et ainsi, comblé bien des blessures. Ce cancer m’a offert un papa. Même si il me l’a repris peu de temps après, peu importe le temps que cela aura duré, il nous a offert la qualité d’une relation.
Un cancer apporte souvent la mort. On oublie souvent que si on accepte de le voir, de le vivre, il peut offrir la VIE. Il peut éveiller à la VIE.Il peut offrir, enfin, de la voir pleinement, la vie. Le cancer est une leçon, pas toujours un ennemi.
J’espère ne heurter personne avec mes propos, mais offrir une autre vision de ce qui parait souvent être la pire des horreurs. Quoi qu’il arrive, le cancer, même si il est synonyme de souffrance et d’injustice, amène toujours avec lui, dans n’importe quelle situation que ce soit, la possibilité d’apprendre et de grandir. Pour le principal concerné et pour ses proches. Peu importe l’issue.

Voilà, j’arrive au bout de ce qui sera sans doute l’un des plus longs et importants articles de ce blog. Je me suis confiée pleinement et je vous remercie de m’avoir lue. J’espère que mon expérience résonnera en vous et vous donnera peut être le courage de concevoir la maladie différemment.

Avec beaucoup d’amour,
Vive la vie, célébrons l’éveil.

Céline

Papa à 20 ans, libre et rebelle, alors qu’il quitte la Suisse pour démarrer son métier en tant que publicitaire pendant un peu plus d’1 an à Paris.

Il m’a transmis la passion et l’amour de la truffe. De l’art culinaire aussi. Ici lors d’un marché aux truffes auquel nous aimions aller chaque année. J’aime particulièrement cette image. Elle est très symbolique à mes yeux.

3 images tirées de notre séjour à Barcelone. J’adore le portrait que j’ai fait de lui devant les portes noires de la Sagrada Familia. Je le trouve magnifique.

Heureuse d’avoir eu mon papa à mon mariage. Qu’il ait encore été en vie.

Avant que le cancer ne se soit déclaré. En pleine forme, la soixantaine et amoureux de la bonne cuisine. Encore et toujours! <3

Noël 2014, papa aime son crâne désormais chauve. Il l’a accepté. S’est libéré du devoir de posséder des cheveux. Il se sent plus proche des moines bouddhistes, dont il admire la spiritualité.

– Vers l’infini, je t’aime. –

7 Comments

  1. Anna Maradan Reply

    Tellement touchant de partager cette histoire avec nous. Ton père doit être si fière de toi, je suis sûre qu’il veille sur toi jours et nuits <3

  2. Ton témoignage est bouleversant et nous fait voir la maladie et la mort sous un autre angle. Je comprends tout à fait ce que tu veux dire quant tu dis que cela a été une bénédiction pour votre famille. Depuis longtemps maintenant, je crois que bien des fois les choses n’arrivent pas par hasard… La vie est un tel mystère… Après c’est sûr quand la maladie arrive à quelqu’un de jeune, à un enfant, c’est incompréhensible et injuste et on ne voit pas pourquoi la vie nous inflige une telle douleur. Et il n’y a peut-être aucune explication. Souvent je me demande comment on trouve la force de surmonter la perte d’un être cher, mais il faut croire qu’il y a quelque chose de plus fort qui nous aide, difficile de savoir quoi, mais j’y crois fermement. Je crois aux énergies, aux signes que la vie nous donne et surtout à la nature. Ton papa nous donne une sacré leçon de vie avec sa force, sa joie de vivre et son rire. Il a tout compris ! On cherche tous à trouver le bonheur, ton papa s’en est sûrement approché au plus prêt, malgré la maladie. Ton témoignage est magnifique Céline, MERCI ! On ressent beaucoup d’AMOUR sur les photos où vous êtes les deux !

  3. Bouleversant et sublime témoignage. Je reste sans mots. La bénédiction de vous être trouvé, ton papa et toi….aussi tes frères avec leur papa. La vie a réparé pour vous trois un parcours pas évident. C’est important de garder un bon souvenir qui fait du bien pour, un peu , combler le manque de présence. Ce n’est pas donné à tout le monde. Par son chemin final, spirituel et personnel, votre papa vous a fait, à vous, un grand cadeau.

  4. Magnifiques paroles, des mots sur des sentiments, c’est tellement difficile à faire, béni soit le temps où tu as pu et su partager autant d’amour avec André, ton papa
    Je t’embrasse très fort ma belle Céline,
    Amitiés
    Estelle

  5. Par où commencer… J’ai lu et relu ton histoire qui m’a bouleversée (fait beaucoup pleuré), transcendée puis j’ai laissé les jours passés tout en ayant tes mots résonnant en moi comme un mantra. Lors de ce dimanche pluvieux et hors du temps, une envie a surgit: de dire je t’aime à mon père pour la première fois depuis 25 ans. Ce fut un défi pour moi, qui n’a jamais eu les attentions escomptées de la part de mon père et pourtant je l’ai soutenu lorsque ma mère s’en est allé et lorsqu’il a fait quelques jours plus tard une embolie pulmonaire. J’ai donc pris mon courage à deux mains et lui ai dit un simple « je t’aime » qui le bouleversa et j’entendis pour la première fois ses sanglots qui ont eu pour effets d’abaissement et de délivrance pour moi. Mon père est humain et possède un coeur.
    Grâce à ton histoire, je souhaite partager et découvrir l’homme qui se cache derrière cette armure enfin fissurable et je t’en remercie.

    • La Vie Bohème Reply

      Bonjour Amandine,
      Je suis extrêmement touchée par ton message et ai choisi de te répondre en privé par mail. Merci infiniment pour le partage de ton expérience et tes mots. J’en suis bouleversée.
      Beaucoup d’amour,
      Céline

  6. Je pleure, je pleure… et je pleure.
    J’ai eu le même genre d’enfance avec mon père, mais, à la différence, le mien est toujours en vie.
    Cet amour père-fille m’a toujours manqué même si je ne l’ai jamais montré mais apparemment cela m’affecte plus que je ne le pensais car je pleure, je pleure… et je pleure.
    Je l’aime fort… il faudra que je le lui dise.
    En tout cas, ton texte m’a donné une séance de psy, d’introspection… à distance.
    Merci.

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