Greg Zlap, l’harmoniciste charismatique de Johnny durant les 10 dernières années de sa vie, sort aujourd’hui 17 octobre, après 282 concerts sur scène aux côtés de la star, un livre, Sur la route avec Johnny rempli de photos, d’anecdotes de tournées et de souvenirs intimes. En juillet dernier, j’ai eu le plaisir de retrouver Greg à Charmey, en Suisse, pour échanger au sujet de ses débuts, de l’étonnant et sous-estimé instrument qu’est l’harmonica, et de ce que Johnny Hallyday lui a transmis d’essentiel. Voici ce que nous nous sommes dit.

Salut Greg ! Est-ce que tu te souviens de la toute première fois où tu as soufflé dans un harmonica ?
Bien sûr ! Je suis né à Varsovie et quand j’étais ado, j’étais fan de Kiss et complètement fasciné par le rock. Un jour mon oncle m’a rapporté un harmonica des Etats-Unis en me disant « Il faut que tu écoutes ce que font les bluesmen américain, c’est extraordinaire! »  J’ai soufflé dedans mais bon, je ne savais pas trop quoi faire avec ! Je l’ai alors reposé et ai continué à écouter mes vinyles de Kiss. Jusqu’au jour ou j’ai entendu un disque de blues et un harmonica. J’ai été subjugué. Je me suis dit « Mais comment il arrive à faire ça ?! » Depuis ce jour, alors que j’avais 13 ou 14 ans, j’ai commencé à chercher des disques et ai essayé de refaire ce que j’entendais… C’est comme ça que j’ai commencé à jouer.

Puis tu es arrivé en France.
Oui, quand j’avais 17 ans. A ce moment là, l’harmonica était un peu une passion secrète car je ne pensais pas du tout devenir un jour musicien. Ce n’était pas une option envisageable, surtout avec un instrument comme l’harmonica ! (Rires)

C’était quoi alors « l’option envisageable » à cette période ?
J’aimais le dessin, le graphisme. Avec un ami on programmait des jeux sur les premiers ordinateurs… J’ai fait des études d’informatique en France. Et puis à côté, j’ai monté un groupe de musique et j’ai rencontré Jean-Jacques Milteau (ndlr : grand harmoniciste français) qui plus tard est devenu mon parrain dans le métier.

Comment s’est passé cette rencontre ?
Ce n’était pas facile ! Je suis allé le voir plusieurs fois jouer dans un club parisien, l’Utopia, et puis un jour, je lui ai demandé si il donnait des cours et il m’a répondu un peu sur la défensive. Je me suis vexé. Il m’avait fallu tellement de courage pour aller lui parler ! Mais bon, il m’a tout de même donné sa carte. Ça m’a donné la « gniak » et je me suis mis à bosser encore plus pour lui montrer ce que je savais faire. Environ deux ans plus tard, j’ai vu qu’il donnait un stage dans le sud de la France. J’y suis allé et c’est là qu’on s’est vraiment « rencontré », lui et moi. Très vite, on a parlé de projets. Une méthode d’harmonica a vu le jour puis un club d’Harmonica aussi.

Quelles sont les qualités selon toi qu’il faut avoir pour être un bon joueur d’harmonica ?
L’harmonica est très étonnant parce que c’est le seul instrument dont on peut jouer sans savoir en jouer ! (Rires) Le violon, si tu veux sortir un son, tu dois un peu travailler quand même. Alors que l’harmonica, la façon dont sont disposées les notes, peu importe ce que tu fais, cela crée naturellement des accords. C’est un peu l’harmonica qui joue pour toi en fait. Mais il faut savoir que c’est un instrument folklorique allemand à la base. Quand il s’est retrouvé dans les mains des bluesmen, il s’est transformé. Ils ont tellement cherché certaines notes que grâce à leur technique, ils les ont crées. Donc quand on veut jouer du blues, il y a des notes qu’il faut découvrir, fabriquer. Ça se fait avec la position de la bouche, de la langue, etc. Ce n’est pas facile à apprendre. Mon envie à moi, c’était de tout pouvoir maitriser et donc ça m’a demandé énormément de travail.

Mais au final, j’ai appris que pour être un bon harmoniciste, il faut faire confiance à l’instrument et le laisser jouer…

Mais trop bien jouer, ça ne plaît pas toujours… Je crois que tu as une anecdote à ce sujet lors de ta première séance d’enregistrement !
Oui, j’enregistrais une publicité pour Krys, l’opticien. On m’a dit « Tu n’auras que 5 notes à jouer ». J’ai enregistré pendant 3h et ça ne marchait pas. J’ai essayé plus grave, plus aigu, on a essayé pleins de choses, vraiment, mais ça ne marchait pas… jusqu’au moment où le réalisateur est venu me voir pour me demander de jouer moins bien. Je lui ai dit « Comment ça, moins bien ? » et il m’a répondu « Ben, un peu comme Bob Dylan, tu sais… » Je me suis exécuté, j’ai joué comme Dylan et ça a tout de suite marché. Mais j’étais un peu vexé, parce que toutes ces années que j’avais passé à jouer de l’harmonica pour me perfectionner, dans cette situation concrète, c’était inutile. A ce moment là, j’ai compris que l’harmonica blues, avec ce son typique que j’aime, finalement il n’y avait que très peu de gens qui le connaissaient…

Comment tu l’appréhendes aujourd’hui ton instrument?
Ben, pour revenir à Bob Dylan justement, ce n’est pas pour rien que c’est une icône. L’âme de l’harmonica, c’est ce côté libre et très spontané qui transmet des émotions d’une manière extrêmement simple. Aujourd’hui, la vision de l’instrument que j’ai, ce sont deux choses qui cohabitent. Le côté simple et spontané accessible à tout le monde et, à l’opposé, celui très technique, poussé et virtuose qui fait qu’on peut jouer des miracles insoupçonnés ! C’est fascinant que ce petit instrument puisse produire des sons pareils.

Etre un bon harmoniciste, c’est vraiment laisser jouer l’instrument et lui faire confiance. Et puis l’harmonica, c’est un compagnon, ce n’est pas « juste » un instrument de musique. C’est spécial.

Je comprends ce que tu veux dire.
Tu sais, mon expérience avec Johnny par exemple, m’a appris beaucoup de choses au sujet de l’harmonica. Personne n’a jamais besoin d’un harmoniciste dans un groupe. Alors que Johnny, lui, il a inclus un harmonica dans un gros show rock ! C’était complètement inédit.

Un harmonica qui, en plus, prenait beaucoup de place dans le show !
Oui! Et avec lui, j’ai pu avoir toute la liberté de jouer comme je le voulais! De la même manière avec Johnny que dans un petit club de blues comme l’Utopia à Paris. Et ça marchait ! Le public recevait l’énergie de ce petit instrument.

 

« Johnny m’a transmis la notion que la scène est sacrée. Peu importe les circonstances, une fois que tu montes sur scène, il faut se donner à 200 % »

C’est ce qu’on ressentait en te voyant sur scène avec Johnny. Tu savais capter et toucher le public énorme et ultra éclectique qu’était celui de Johnny. Jeunes, moins jeunes, curieux ou fan de blues, rocker ou pas, tu as montré aux gens la grandeur de l’harmonica. Ce monde-là, complètement insoupçonné par le grand public…
Oui c’est vrai… Il y a beaucoup de gens qui ont découvert l’harmonica grâce à la place que Johnny lui a donné sur scène. Et puis il y a autre chose que j’ai découvert avec Johnny, en étant libre de jouer comme je le voulais. Notamment sur le duo lui et moi pour Gabrielle, qui était un moment fort du spectacle. J’ai essayé plusieurs choses pendant ce moment où j’étais seul face au public avec mon instrument. J’ai tenté des choses plus virtuoses notamment mais j’ai remarqué que ça ne marchait pas. Plus j’allais dans quelque chose de construit sur la technique de l’harmonica et plus j’avais l’impression de perdre le contact avec le public. En fait, je me suis rendu compte que le coeur de l’harmonica c’est tout simplement l’énergie pure que je mettais dans le jeu, dans mon attitude et le lâcher prise avec mon instrument. Lui faire confiance, encore une fois. Et mettre une énergie de dingue dans mon jeu. Ça rejoint peut-être ta question d’avant « c’est quoi être un bon harmoniciste »: ce que j’ai trouvé comme réponse, c’est que c’est une question d’engagement dans ce qu’on fait. Ce que j’ai appris avec Johnny, c’est qu’il n’y avait pas de limites sur scène. Il était tellement fort, tellement charismatique, il avait un tel contact avec le public, il ne s’économisait pas. C’est une notion que Johnny m’a transmise. La scène est sacrée. Une fois qu’on monte sur scène il faut être à 200 %. Je n’ai plus jamais rejoué dans les petits clubs de la même manière.

Il y a un avant et un après Johnny ?
Ah oui ! J’ai toujours aimé les concerts et le show en sens général. J’ai toujours aimé le contact avec le public, mais il y a pleins de choses que je n’osais pas faire parce qu’on se dit que c’est ridicule dans un petit club de se rouler par terre en jouant par exemple. Avec Johnny, au départ je jouais comme je le faisais dans les clubs, mais rapidement, il m’a poussé à faire le show ! C’était sans limites, quoi ! La première fois que j’ai joué mon solo de Gabrielle en répétition, Johnny est venu et m’a dit « Dis donc Greg, tu vas pas rester planté comme un piquet devant ton micro ? » A ce moment là, j’étais concentré sur mon solo, je voulais juste bien faire. On était en répétition. J’ai regardé Johnny et je lui ai juré que je ferai le show. C’était libérateur de jouer avec lui parce que Johnny était tellement charismatique que je pouvais faire tout ce que je voulais, je ne risquais pas de lui faire de l’ombre. J’ai donc commencé à engager mon corps, à accompagner les notes par des mouvements, à prendre de l’espace.

Eh bien, c’est quelque chose qui m’a frappé justement ! Avec Johnny bien sûr, je me souviendrai toujours de tes prestations scéniques, mais aussi toi, que je suis venu écouter sur ta tournée solo il y a 2 mois. J’ai été frappée par le spectacle. J’avais peur en gros de « me taper 2h d’harmonica » et qu’au bout d’un moment je m’ennuie, mais on est très loin de ça ! Tu chantes, tu bouges, tu parles avec le public, et le groupe de musiciens qui t’entoure est fantastique. Comment tu l’as imaginé ce spectacle ?
Ben en fait, je suis assez timide à la base. Au début, je faisais beaucoup de morceaux instrumentaux, mais le premier constat c’était que si je jouais un concert de morceaux instrumentaux, ça passait, mais devant un public avertit comme dans un club de jazz… Mais moi, ce que je voulais, c’est partager quelque chose avec tout le monde ! Pas avec une élite spécialement. Et donc je me suis mis au chant. Et cet équilibre a beaucoup changé au cours des années. L’harmonica est devenu une sorte de « voix » pour moi. Je ne pense plus du tout à faire des choses impressionnantes ou à avoir une démarche intellectuelle. Je fais corps avec mon instrument. Je passe de la voix à l’instrument et vice-versa. Je chante aussi en polonais et en français, ce qui est un défi pour moi, alors que le chant en anglais était ma base. Ce que je remarque dans les concerts, c’est que les gens ne savent jamais à quoi s’attendre en venant me voir et qu’ils en ressortent contents.
Je pense que cet instrument à un énorme pouvoir populaire. J’ai envie de le porter au grand public à travers un spectacle que je construis pour parler à tout le monde.

→ Le livre de Greg Zlap « Sur la route avec Johnny » est disponible depuis le 17 octobre 2019 en libraire. 216 pages passionnantes à dévorer!

→ Greg Zlap sortira son prochain album en mars 2020 et sera en tournée cette fin d’année. Dates à retrouver sur son site : http://gregzlap.fr/

 

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